samedi 30 janvier 2016

Mémoires de la Société littéraire de Grenoble, 1787 et 1788

Souvent, vous vous êtes demandé quelle est la cause des « dépérissements actuels des bois en Dauphiné » et quelles sont « les branches d'industrie qui conviennent le mieux aux cantons de la Province de Dauphiné qui en sont dépourvues » ? La Société littéraire de Grenoble y a répondu.


C’est le charme de ces ouvrages anciens, que l’on achète un peu au hasard et un peu au flair, car, à priori, ils rencontrent vos centres d’intérêts, ils sont dans une bonne condition (en l’occurrence, dans une reliure d’époque) et une recherche rapide sur Internet montre qu’ils sont rares. Quand, en plus, ils ne sont pas chers, on y va ! On regarde un peu le livre, on le met de côté dans l’idée de l’étudier plus à fond plus tard, puis on l’oublie un peu. Le travail pour préparer ma conférence sur Dominique Villars m’a fait ressortir le livre de sa cachette, le lire, l’étudier, etc. C’est ainsi que j’ai passé quelques heures à « décortiquer » les Mémoires de la Société littéraire de Grenoble, Première partie, 1787 et Seconde partie, 1788. Ce sont les deux premières années (sur trois) des Mémoires de cette société littéraire, instituée à Grenoble en 1780 et transformée en Académie delphinale en 1789.


On y trouve les inévitables comptes rendus de séances, les discours au style fleuri du secrétaire perpétuel, le docteur Henri Gagnon, plus connu aujourd’hui pour avoir été le grand-père de Stendhal que pour son œuvre et son action dans la vie culturelle et sociale de Grenoble avant la Révolution. Mais, ce qui est en fait surtout l’intérêt est la publication de plusieurs Mémoires, qui sont les réponses à des questions soumises à la sagacité des érudits et autres honnêtes hommes de la province préoccupés du bien public, question qui font toujours l’objet d’un prix qui doit venir récompenser le meilleur travail.


Le docteur Henri Gagnon

Le premier mémoire répond en fait à quatre questions (on voit qu’il y avait peu de liberté pour établir le plan !) :
A quelle cause doit-on attribuer les dépérissements actuels des bois en Dauphiné ? Quels sont les effets qui sont résultés du dépérissement des bois relativement à l'agriculture ? Quels sont les moyens de remédier au dépérissement des bois et forêts en Dauphiné ? Quel est le parti le plus avantageux que l'on pourrait tirer des bois, landes, marais et pâturages publics ?
Le mémoire primé lors de la séance du 2 mai 1787 est celui d’Alexandre Achard de Germane, un haut-alpin de Serres, avocat au parlement de Grenoble. Publié dans le premier volume, il couvre une centaine de pages. Il est intéressant de constater que la cause qui est le plus mis en avant dans cette étude est tout simplement la législation inadaptée, qui, malgré son objectif de défendre les abus, ne fait que les aggraver : complexité de la loi, peines disproportionnées et donc inappliquées, pouvoir trop grands des juges, qui deviennent ainsi corruptibles ou influençables, trop grande facilité des autorisations de coupes, etc. Ce qu’il détaillera ensuite sera un projet de législation qui devait remédier à tous ces défauts.

Mais c’est le second Mémoire qui est le plus intéressant, d’autant plus qu’il aborde largement la situation du Briançonnais. Il traite une double question : Quelles sont les branches d'industrie qui conviennent le mieux aux cantons de cette Province qui en sont dépourvues, notamment dans le haut Dauphiné ? Quels seraient les moyens d'accroître les progrès de l'agriculture dans les cantons qui pourraient n'être susceptibles d'aucun genre d'industrie, sans nuire au rétablissement des bois ?
C’est le même Achard de Germane qui voit son mémoire récompensé lors de la séance du 12 mars 1788. Si on peut résumer sa proposition à la première question, c’est cette phrase que je choisirais : « L'éducation des bestiaux et quelques manufactures, dont leurs dépouilles soient les matières premières ». C’est ainsi qu’il est amené à préconiser le développement de l’élevage local dans le Briançonnais, plutôt que de laisser ces régions mettre à disposition leurs pâturages aux Provençaux (« ces agents étrangers qui profitent de leurs richesses locales »). Comme débouché, il envisage la création d’une manufacture de filage des laines à Sainte-Catherine, à Briançon. Parmi les autres industries, il évoque l'extraction du charbon, la fabrique de tuiles, les filatures de coton, qui existaient déjà au Monétier, les industries pour le Queyras et la Vallouise, les routes à établir, etc.

Plan-relief de Briançon (XVIIIe siècle)

Au-delà du style et de certains aspects dans la façon d’aborder les sujets (la référence à une élite éclairée et éduquée, comme modèle pour le peuple, qui, en contrepartie, est souvent vu en même temps de façon négative et simpliste) ce qui m’a frappé, surtout dans le second mémoire, est la permanence des questions et des solutions qui sont abordées. Comme aujourd’hui, la problématique est de savoir articuler l’action publique avec l’initiative privée, pour une meilleure efficacité. La ligne blanche de toute la réflexion d’Achard de Germane est le respect du droit de propriété, sans que cela ne doive pourtant entraver une action volontariste de l’administration, représentée par l’intendance du Dauphiné (l’équivalent, peu ou prou, de notre administration préfectorale). Les projets pressentis (la manufacture de filature de laines, etc.) doivent  faire l'objet d'une impulsion, d'une aide et d'une protection de l'intendance du Dauphiné. L’autre aspect est l’utilisation de la législation et de la fiscalité comme outils au service du développement. C’est très vrai pour les réflexions sur la gestion des forêts, mais il l’applique aussi à la protection et à l’incitation de la production manufacturière en Briançonnais.

Ces Mémoires contiennent aussi un essai « sur les moyens de perfectionner l'espèce des Moutons du Dauphiné », par Étienne Tourtelle (orthographié Tourtel), médecin de Besançon, qui avait traité le même sujet en 1784 pour l'académie de Besançon.

Enfin, et j’en reviens à ce qui m’a amené à rouvrir ce livre, Dominique Villars publie les : Liste et Observations sur les Arbres de la Province de Dauphiné, par M. Villars, Médecin, Professeur de Botanique, Membre de la Société littéraire. Cette liste contient la description de 86 espèces d'arbres et d'arbustes. A la différence des notices  de son Histoire des Plantes de Dauphiné, qui est un ouvrage « purement botanique et médicinal », dans cette étude, il envisage aussi les usages économiques que l'on peut en faire et donne des conseils de culture.

On peut aussi lire avec profit le Discours prononcé par M. le secrétaire perpétuel, à la première séance de la Société littéraire, le 2 mai 1787, discours du docteur Gagnon dans lequel il fait l'historique des origines de la bibliothèque publique de Grenoble, du cabinet d'histoire naturelle et de la société littéraire.

Entrée de l'ancienne bibliothèque de Grenoble (passage du Lycée), située
dans l'ancien collège des Jésuites. C'est la création de cette bibliothèque 
qui est à l'origine de la Société littéraire. Elle tenait ses séances en ce lieu.

Façade de l'ancien collège des Jésuites, 
aujourd'hui Lycée Stendhal, Grenoble.

Comme on le voit, une mine d’information et une mine de lecture.

Pour un description plus complète : cliquez-ici.

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