mercredi 29 juillet 2015

Victor Monard, le Troubadour des Alpes

Il y a quelques années, j'ai acheté un petit livre digne des éditions populaires du XIXe siècle, curieux mélange de poèmes, fables et textes en patois, dont le titre est déjà en soi tout un programme :
Les élections du pays de Cocagne, poème héroï-comique divisé en dix chants, suivi de l'Orpierréïde et de plusieurs pièces inédites.
Publié à Carpentras en 1846, sur le titre, l'auteur se présentait ainsi : Victor Monard, d'Orpierre, Poète-Naturel et troubadour des Alpes.

Cela avait aiguisé ma curiosité, car ce personnage des Hautes-Alpes, dont le livre concerne deux communes importantes du sud du département, Laragne (la Cocagne du titre) et Orpierre, n'apparaît dans aucun des ouvrages biographiques sur les Hautes-Alpes, ni dans les études sur le provençal haut-alpin (sauf une rapide mention dans Le provençal haut-alpin, de Paul Pons, 1982). Qu'est-ce qui justifie un tel oubli ?


Certes, l'ouvrage a paru à Carpentras. Le poème principal, Les élections du pays de Cocagne, décrit les luttes intestines pour le poste de maire au sein de la commune de Laragne, entre 1830 et 1833. Les noms sont des pseudonymes (Périclandre, Periscal, Colet, Coco, etc.) mais ils sont facilement identifiables. On sait qu'il n'est jamais bon pour la postérité de mettre à jour les turpitudes de ses contemporains. On le paye souvent pas un silence complice. Enfin, et cela explique probablement le silence des érudits, notre poète est, il fait l'avouer, assez médiocre. Il s'exprime dans un style souvent lourd. De nombreux passages sont obscurs ou confus, maladresse renforcée par la contrainte de s'exprimer en vers rimés. Le style est souvent relâché ou familier : "enflure" pour signifier une grossesse, "Il pria le marchand d'y vendre une figure", pour "de lui vendre", etc.

C'est justement cela qui m'a donné envie d'en savoir plus. J'ai donc déjà décrit précisément cet ouvrage, dans une page que je lui ai consacrée : cliquez-ici. Puis j'ai commencé à partir à la recherche d'éléments plus complets sur Victor Monard. C'est ainsi que j'ai trouvé qu'il avait fait l'objet d'une plaquette biographique contemporaine, par Jacques, Comte de Bonadona d'Ambrun, un représentant d'une ancienne famille du Vaucluse, son contemporain et concitoyen à Carpentras. Tout aussi rare que les livres de Victor Monard, cette plaquette est passée à ma portée et je l'ai saisie.


Pour en savoir plus, cliquez-ici.

Elle commence ainsi :
« En voyant passer dans les rues de ma ville adoptive [Carpentras] un homme à la mise négligée, à la chevelure flottante, à la démarche burlesque, au ton goguenard et à l'air décidé, je m'étais souvent demandé ?
Quel est cet homme qui paraît si extraordinaire et que cependant tout le monde salue ou interroge ?
Un jour que je m'adressais tout haut cette question, un individu crut que je l'interpellais et il me répondit :
- C'est Victor Monard d'Orpierre, dit le Troubadour des Alpes. »
S'ensuit le récit de la vie de Victor Monard rapporté à l'auteur par Renaud Chalvet, ménétrier et compatriote de Monard. Cette biographie fourmille d'informations sur sa famille, sa vie, ses amours, ses différents démêlés avec les autorités (maires, curés, etc.), ses travaux littéraires publiés ou inédits, etc. Il y a une réelle sympathie de l'auteur pour son personnage, pour lequel il prend fait et cause.
Au passage M. le comte ajoute quelques pages en fin sur la propre histoire de sa famille. On n'est jamais mieux servi que par soi-même.

Une petite vignette représente Victor Monard. On aurait aimé un portait plus précis !


Pour finir, et donner un aperçu du style de Victor Monard, son épitaphe, rédigée par lui-même, est reproduite dans cette plaquette (elle est aussi publiée dans Les élections du pays de Cocagne...).


Transcription :
EPITAPHE 
DE VICTOR MONARD D'ORPIERRE
Né le 25 mars 1810 et décédé
le                              

Ci-git Victor Monard qui, pour la poésie,
Consacra sans mentir les trois quarts de sa vie
Encor n'a-t-il rien fait de rare ni d'exquis
Aux yeux des grands esprits,
Mais le plaisir d'avoir célébré sa patrie
Le rend autant heureux dans la plaine chérie
Que les auteurs les plus précis.
Il ne lui reste plus ici-bas qu'une envie :
C'est de voir un jour son pays
Revenir de l'erreur que ce fut par folie
Qu'il fit tant de tours inouis,
Puisque comme l'abeille il n'acquit qu'à ce prix
La goutte d'ambroisie
Dont sont parfumés ses écrits
Que sans doute il n'eût point acquis
S'il avait concentré l'essor de son génie.

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