samedi 13 septembre 2014

Une dauphinoiserie : En Dauphiné, de Gustave Rivet, exemplaire de Jules Claretie

Sous ce terme de Dauphinoiserie, je regroupe toutes ces petites curiosités sur le Dauphiné, qui font le plaisir du bibliophile et du chercheur, même si, objectivement, leur intérêt est souvent un peu limité...

Ex-libris de Gustave Rivet dessiné par Robert Mols.

C'est ainsi que j'ai trouvé cet été une petite plaquette de vers de Gustave Rivet, bien reliée et truffée de quelques documents, qui provient de la bibliothèque de Jules Claretie. Ces deux personnalités de la vie littéraire de la fin du XIXe siècle sont bien oubliées, même si le nom de Jules Claretie est probablement plus connu. Né en 1834 et mort à Paris en 1913, c'est un "romancier, dramaturge français, également critique dramatique, historien et chroniqueur de la vie parisienne" (je reprends les termes de Wikipedia, pour voir la notice : cliquez-ici). Membre de l'Académie française, il était une des personnalités incontournables, pour utiliser une expression moderne, de la vie littéraire parisienne. On comprend donc que Gustave Rivet, poète et député dauphinois, ait jugé nécessaire de lui envoyer ces quelques vers. De quoi s'agit-il ?

En Dauphiné
Grenoble, Imprimerie des Alpes illustrées, 1899, in-8°, 7 pp. (la couverture imprimée sert de titre), une photographie en noir et blanc en bandeau.


Le sous titre : « Épître à mon ami Z...., millionnaire parisien en son hôtel des Champs-Élysées » annonce déjà le propos. C'est une poésie à la gloire du Dauphiné, qui oppose la simplicité des mœurs locales à la sophistication de la vie parisienne et mondaine. Elle a été écrite au château du Fayet, près de Barraux en Isère, sa résidence au pays natal. C'est ce château qui inspire le poème et dont la photo orne le bandeau de la première page :


Un extrait pour illustrer le style et le propos du poète :
Ainsi, ma région ou charmante ou sauvage
N'a pas encor subi le douloureux outrage
Des mutilations pour embellissements
Qu'exécutent, sereins, et sans frémissements,
Ces organisateurs d'affreuses caravanes
Où l'on voit des Anglais de six pieds sur des ânes.
Ils nous ont épargnés jusqu'ici. —Leurs arrêts
N'ont pas encore mis la hache en nos forêts,
Ils n'ont point fait des parcs anglais de nos campagnes
Et point déshonoré nos superbes montagnes
Par leurs vastes hôtels et par leurs casinos,
Où l'on joue au tennis, où vibrent les pianos,
Où l'on dîne en habit, où les salles de danses
Sont le rendez-vous des suprêmes élégances,
Où l'on entend les grands concerts et l'opéra,
Où l'on mène de front amour et baccara,
Où, quand l'aube vermeille et sublime se lève,
La Miss aux longs pieds ronfle indifférente, et rêve
De son flirt de la veille, imbécile et banal.
Ils n'ont pas mis encor dans le Touring-Journal
Nos vallons et nos bois, nos rochers, nos cascades,
Et nous ne voyons point passer les mascarades
Des Cooks, qui sans souci des beautés du chemin
Vont, le regard muet, et Bædeker en main.

C'est pourquoi le pays est rare. — Cette terre
Est un refuge exquis pour l'âme solitaire,
C'est l'oasis du rêve où l'on peut oublier;
Où, sans se torturer l'esprit, sans se plier
Aux ordres puérils et sots du protocole,
Ne prenant de leçons qu'à la sublime école
De la terre, du ciel, du torrent indompté,
L'homme peut se laisser fleurir en liberté.
Gustave Rivet n'est pourtant pas totalement un inconnu. Comme écrivain, il est l'auteur de plusieurs pièces, dont certaines ont été des succès : Marie Touchet, Le cimetière Saint-Joseph, etc. et de nombreux recueils de poèmes. Appartenant à l'entourage de Victor Hugo (visiblement, le souffle épique du poète ne l'a pas inspiré pour parler du Dauphiné...), il est l'auteur de Victor Hugo chez lui, en 1878. Il sera un des "six jeunes amis" qui ont accompagné son corbillard lors de ses funérailles nationales.



En parallèle de cette carrière littéraire qui n'a laissé aucune œuvre notable, même de second rang, il a surtout été un député républicain de l'Isère, son pays natal. Né le jour de la proclamation de la IIe République, le 25 février 1848, à Domène, il est élu député dès 1883. Sa carrière politique comme député, puis sénateur durera plus 40 ans, jusqu'en 1924. Il s'est fait le défenseur des agriculteurs, des vignerons, en particulier des bouilleurs de cru, et plus généralement des gens de peu. Un de ses ouvrages politiques s'intitule : La défense des paysans, des petits et des humbles, paru en 1902. Un de ses combats a été de faire passer une loi sur la recherche de paternité, ce qu'il finira par obtenir. En résumé, une belle personnalité de la IIIe République. Pour aller plus loin, la notice Wikipedia : cliquez-ici.

Gustave Rivet a donc envoyé un exemplaire de ses vers à Jules Claretie, accompagné d'une dédicace :


et d'une lettre, non datée, à l'en-tête de la Chambre des Députés :


Dans cette lettre, il lui rappelle que « voici bien longtemps », il a donné un drame, Marie Touchet, dont Jules Claretie avait donné une « indulgente critique » (ce drame, écrit en 1873,  a été donné pour la première fois à Paris, à l'Odéon, en 1881). Il développe ensuite l'historique du château du Fayet, à Barraux, près de Grenoble, qu'il a racheté et qu'il a fait restauré et dont la photo orne cette plaquette. Pour faire ensuite le lien entre le château et Marie Touchet , il rappelle que c'est là que celle-ci a accouché d'un fils du roi Charles IX, le bâtard d'Angoulême (Marie Touchet).

Une deuxième lettre se trouve reliée dans la plaquette. C'est une lettre de reconnaissance pour la réponse que Jules Claretie lui a faite suite à son premier envoi. Très chaleureuse et un peu mélancolique par son rappel de passé, elle ne semble être qu'une marque de sympathie et d'estime vis-à-vis de Jules Claretie, sans autre demande. Il l'accompagne de l'envoi de son ex-libris, qui a ensuite été relié dans la plaquette (il est reproduit en tête de ce message).

Jules Claretie a ensuite fait relier l'ensemble (la plaquette, les 2 lettres, l'ex-libris) dans un élégant maroquin bronze, par A. Bézard.


Pour finir, Gustave Rivet a fait l'objet d'une exposition à la Bibliothèque Municipale de Grenoble en 1991. La catalogue illustré est une bonne source d'informations :


dimanche 7 septembre 2014

La saga des Écrins, de François Labande

L’histoire de l’alpinisme dans le massif des Ecrins n’avait jamais l’objet d’une synthèse globale. C’est chose faite depuis quelques mois grâce à l’ouvrage bien illustré, au style enlevé, de François Labande.



Publié aux Éditions Guérin en mai dernier (cliquez-ici), ce fort volume de 464 pages, illustré de 350 photos, couvre toute la période depuis la découverte du massif et la première ascension du Pelvoux en 1828 jusqu’aux plus récents exploits des années 2000. C’est ce qui fait tout l’intérêt de cet ouvrage. En effet, il existe des ouvrages sur les premiers temps de l’alpinisme dans le massif : Alpinistes britanniques et austro allemands dans les Ecrins, de M. Mestre et M. Tailland, Une mémoire alpine dauphinoise. Alpinistes et guides. 1875 – 1925, de Philippe Bourdeau, Les pionniers des Alpes du Dauphiné, de Pierre Lestas, etc. Des sommets ont fait l'objet de monographies, qui s’arrêtent en général à la Seconde Guerre Mondiale : La Meije, Les Ecrins, tous deux d’Henri Isselin. Il existe de très nombreux témoignages, dispersés dans des revues (Annuaires du Club Alpin Français, la Montagne et autres revues dont celles du G.H.M.) ou dans des ouvrages de souvenirs (par exemple, Au cœur des Alpes et Nos amies les cimes, de Jean Vernet ). Mais, il n’existait pas une synthèse couvrant toute la période et, pour les dernières décennies, il n’y avait quasiment rien d’accessible pour le grand public, alors que ces années-là ont vu un changement profond dans la manière d’aborder la montagne et le sens donné aux ascensions (le goût de l’exploit, de la difficulté technique, souvent associé à un certain art de vivre).

L’ouvrage est découpé en 26 chapitres, respectant un équilibre entre les périodes. Après les premiers temps (en gros jusqu'à la Première Guerre), en 6 chapitres, on poursuit par la période de l’entre-deux-guerres, puis, toujours dans un bon équilibre entre la période racontée et l’importance des chapitres, toutes les années depuis la dernière guerre. Il y aurait pu y avoir deux travers, celui de donner plus d’importance à la période de l’âge d’or, avec son côté épique et son charme suranné, ou, au contraire, de donner plus d’importance aux années récentes que l’auteur a lui-même connues et, pour certaines des courses, dont il a été un acteur majeur. En réalité, c’est l’équilibre qui prévaut.

Il  faut souligner la qualité des illustrations, avec, pour chaque chapitre, de belles photos, dont certaine sont de l’auteur. J'ai choisi de reproduire celle-ci (Le Pic Coolidge) :


Pour moi, c'est déjà un ouvrage de référence, qu'il est indispensable d'avoir dans sa bibliothèque pour tous les passionnés des Alpes dauphinoises, mais, plus généralement, pour tous les passionnées d’alpinisme et d’histoire de la montagne.

Avant de finir et de vous laisser découvrir par vous-même ce livre, deux petits faits.

Il y a toujours un petit jeu pour le lecteur, qui est de détecter un manque, un fait ou un personnage dont on pense qu’ils ne sont pas suffisamment mis en valeur, voire même cités. A ce petit jeu, j’ai regretté qu’il n’y ait aucune mention d’Ernest Thorant, un des pionniers d’une autre façon de faire de l’alpinisme dans le massif des Ecrins, mais à qui son décès prématuré dans un accident à La Meije en 1896 n'a pas permis de donner toute la mesure de son talent (pour en savoir plus, cliquez-ici).

L’autre fait, que j’ai appris de l’auteur lui-même, est que grâce à mon site, je lui ai fait découvrir les souvenirs d’alpinisme d’Auguste Reynier : Quelques ascensions, dont deux illustrations sont reprises dans l'ouvrage.


C'est une petite satisfaction personnelle, mais je suis aussi heureux que mon travail de mise en ligne et de description d’ouvrages soit une source et une référence pour des travaux et des auteurs. Je profite d’ailleurs de l’occasion pour renvoyer vers un document qui a été mis à disposition par le Parc National des Ecrins à l’occasion du 150e anniversaire de la première ascension de la Barre des Ecrins par Wymper, Moore, Almer en juin 1864. Mis en contact par mon site, je leur ai fourni les illustrations (cartes, reproductions) de deux des panneaux : cliquez-ici. On reconnait sur ce panneau une des premières représentations des Ecrins extraite de OutlineSketches in The High Alps of Dauphiné, par Thomas-George Bonney, paru en 1865. 


Malheureusement, cet ouvrage fondamental est peu connu, alors qu'il représente une contribution majeure à l'histoire de la découverte du massif et, d'un point de vue bibliographique, une vraie rareté. Il marque le passage de la période des touristes à la recherche des sites pittoresques, aux scientifiques et alpinistes qui cherchent à donner une description précise et exhaustive du massif et veulent gravir les sommets qu'ils voient à leur portée. Après ce livre fondateur, l'alpinisme dans le massif des Ecrins pouvait véritablement commencer.

Pour revenir à l'objet de ce message, un lien vers un extrait d'une conférence de François Labande sur l'histoire de l'alpinisme dans les Écrins : cliquez-ici.