jeudi 29 décembre 2011

Glanes dauphinoises IV et autres digressions

Avant de clore cette année qui s'est avérée bibliophiliquement riche, il fallait bien que mes quelques jours lyonnais soient encore l'occasion de derniers achats. J'ai ainsi pu acquérir deux ouvrages anciens, dans leur modeste reliure de parchemin d'époque. Ce sont deux traités de droit de Denis de Salvaing de Boissieu (1600-1683), un jurisconsulte dauphinois, premier président de la Chambre des Comptes de Grenoble, de fraîche noblesse, qui s'est montré, comme cela arrive souvent, un des experts les plus pointus en droits seigneuriaux.

En 1652, chez le libraire Nicolas de Grenoble, paraît le Traité du plait seigneurial. C'est un exemplaire de cette édition originale que je vous présente :



Il est dans son parchemin d'origine :



Le premier acheteur a porté cette mention manuscrite sur la page de garde. On apprend ainsi que ce Gaillard (ou Gaillaud) a acheté ce livre à Grenoble le 3 juillet 1652. Voilà un sieur qui se tenait au courant des nouveautés de l'année !



Denis de  Salvaing de Boissieu a ensuite élargi son propos, tout préoccupé qu'il était du statut juridique de ses récentes seigneuries. Il publie alors en 1664 : De l'usage des fiefs et autres droits seigneuriaux en Dauphiné.


Toujours dans son parchemin d'origine :




Un des deux ouvrages provient de la bibliothèque de Charles Jaillet, un érudit dauphinois, mort plus que centenaire en 2006. J'ai ainsi pu compléter ma page consacrée aux ex-libris dauphinois (cliquez-ici). Cet ex-libris gravé par H. Léty représente quelques monuments célèbres de Vienne, dont la fameuse Aiguille qui était au centre du cirque romain. Par ailleurs, je vous laisse faire le lien entre la devise et la date.



Jean Faure, du Serre

Un article récent dans Provence généalogie m'a remis en mémoire un petit ouvrage que je possède, qui rassemble les Œuvres choisies de ce notaire et sous-préfet, poète à ses heures.


Cet exemplaire de la petite édition chez Delaplace à Gap en 1858 est surtout notable par la belle reliure en maroquin au dos richement orné, reliure signée de Magnin (s'agit-il de Marius Magnin, relieur lyonnais ? Je ne sais, car je crois lire S. Magnin)


J'aurais l'occasion de vous parler de Jean Faure, du Serre, dont je possède quelques ouvrages, dont les rares premières éditions de son poème La Tallardiade.


Digressions

J'ai eu envie de faire deux digressions qui nous éloignent du Dauphiné, mais qui démontrent l'extraordinaire puissance d'Internet pour ceux qui aiment chercher et fouiner comme moi. Comme certains le savent peut-être, je suis aussi généalogiste à mes heures perdues et j'ai profité de cette trêve de fin d'année pour compléter l'histoire de ma famille.

Une simple recherche dans Gallica, sur un nom de famille, m'a fait retrouver ce courrier, sur un beau papier à en-tête :



Il s'agit d'un courrier de mon arrière-grand-père à la compagnie des eaux de Roubaix (est-ce que mes courriers administratifs seront visibles dans 100 ans sur Internet ?).

Un autre courrier de son prédécesseur à la pharmacie de Roubaix qu'il a tenue pendant la première moitié du XXe siècle est un bel exemple du style fleuri de l'époque.



Ce monsieur sollicite le raccordement au réseau d'eaux : "vous me feriez un sensible plaisir en donnant des ordres à votre service pour qu'on me fournisse l'eau le plus vite qu'il sera possible". Je crois que la prochaine fois que j'écrirais (ou j'enverrais un mail) à une des ces nombreuses administrations sans âme de notre époque, je leur exprimerais le "sensible plaisir" que j'aurais à obtenir ce que je n'arrive pas à obtenir malgré mes messages, mes appels aux répondeurs vocaux et autres outils modernes de "relation client". C'est peut-être le sésame ?

Au passage, je dois avouer que je ne suis pas un pur dauphinois ni montagnard. Tant pis, je dois bien dire qu'il y a un peu de sang mêlé dans mes veines. L'arrière-grand-père pharmacien était bourguignon et auparavant installé à Dijon (Eh oui! je suis un peu Bourguignon).

L'autre digression familiale est un extraordinaire texte, encore trouvé sur Gallica, à propos des pouvoirs de magnétiseur d'un médecin jurassien, le docteur Thouverey, qu'un de ses disciples a raconté dans cet ouvrage paru en 1880 :
Une révolution en philosophie résultant de l'observation des phénomènes du magnétisme animal. Etude physiologique et psychologique de l'homme, par le Dr Tony Dunand (du Jura) 



Je vous laisse découvrir cette incroyable histoire, avec apparitions (personnellement, je ne vois jamais de "personnage colossal" à l'heure de me coucher, mais il est vrai que je ne bois que de la tisane !), pouvoirs surnaturels et femmes intransigeantes : cliquez-ici.

Pour faire le lien, et pour ceux qui ont lu jusqu'au bout, la femme qui par son intransigeance a fait perdre tous ses pouvoirs au dit docteur est une de mes lointaines tantes, née à Paris en 1803 (le Dauphiné est de plus en plus loin), fille d'un Grognard et d'une jeune fille de la Mayenne (j'aggrave mon cas !)

Revenons à nos montagnes avec cette belle vue de la Meije depuis la tête de la Maye :



mardi 20 décembre 2011

Carte géologique du Dauphiné, par Charles Lory, 1858

En 1843, Charles Lory, un Nantais, tout juste sorti de l'Ecole Normale, arrive à Grenoble comme professeur de physique au collège de Grenoble. Cet homme de la mer (son père avait été officier de marine) se prend de passion pour les montagnes grenobloises. Il en fait même l'objet de sa thèse en 1846 : Études sur les terrains secondaires des Alpes dans les environs de Grenoble. Obligé de quitter Grenoble, il lui faut attendre la mort d'Emile Gueymard en 1849 pour y revenir à la chaire d'histoire naturelle de la Faculté des Sciences. Il ne quittera plus la ville. Il peut alors se consacrer totalement à la géologie de la région.

Il synthétise le résultat de ses travaux dans une carte géologique qu'il publie en 1858. C'est cette carte que je vous présente aujourd'hui (pour plus de détails, cliquez-ici).


On peut être séduit par l'aspect esthétique de cette carte qui, à travers une gamme de 26 couleurs, tente d'expliquer la complexe structure géologique de la région. Mais c'est avant tout un travail scientifique qu'il accompagne par une communication publiée dans le Bulletin de la Société géologique de France (séance du 2 novembre 1857) :  Esquisse d'une carte géologique du Dauphiné.



Il publie ensuite en 3 livraisons dans le Bulletin de la Société Statistique des Sciences naturelles de l'Isère, entre 1860 et 1864, une Description géologique du Dauphiné (Isère, Drôme, Hautes-Alpes), pour servir à l'explication de la carte géologique de cette province, qui a ensuite été regroupée en un seul volume. Dans cette Description.., une carte complémentaire précise la description géologique du Briançonnais, une des zones les plus complexes de la géologie des Alpes dauphinoises (il faudra attendre Pierre Termier pour clarifier l'histoire géologique de cette région).


Un des intérêts de cette carte est de voir la connaissance que l'on avait alors de la cartographie du massif des Ecrins. En effet, comme fond de carte, Charles Lory ne disposait pas encore des feuilles de la carte d'Etat-Major qui, pour le Briançonnais, ne seront publiées qu'en 1866. Il utilise donc un fond de carte encore assez sommaire où la Meije est appelée l'Aiguille du Midi et la barre des Ecrins porte le nom ancien de Pointe des Arcines. Cependant, les altitudes sont exactes pour ces sommets, preuve qu'il disposait d'une partie des informations des relevés de cette carte menées dans la région par le capitaine Durand dans les années 1828-1830. Ce détail sur le massif du Pelvoux, aujourd'hui appelé massif des Ecrins, permet de se rendre compte de la connaissance simplifiée que l'on avait encore du cœur du massif :


Pour revenir à l'homme, ces quelques mots de Marcel Bertrand nous le décrive : "Enfant de la Bretagne, petit, solide et noueux comme les chênes de sa patrie". "Cette nature loyale, à laquelle il n'a manqué, pour être appréciée de tous, que le besoin de l'expansion. Il a caché sa vie suivant le conseil du sage, mais il a caché aussi ses sentiments et ses impressions, comme s'il eût craint le contact des indifférents. Sensible et bon par nature, il a toujours été d'un abord un peu rude, et il semblait presque qu'il dût faire effort pour se montrer affable et gracieux.". Cette image ne correspond-elle pas à l'idée que l'on peut se faire de lui à lire les appréciations de M. Bertrand :


dimanche 4 décembre 2011

Jean-Jacques Rousseau à Grenoble

La lecture d'un article dans le dernier numéro de la revue L'Alpe m'a remis en mémoire une plaquette que j'avais dans mes piles, sur le séjour de Jean-Jacques Rousseau à Grenoble en juillet et août 1768, sous le nom de Renou. J'ai extrait cette plaquette de sa cachette pour la décrire.


Le titre complet de cet ouvrage d'Auguste Ducoin (1814-1894) est :
Particularités inconnues sur quelques personnages des XVIIIe et XIXe siècles. I. Trois mois de la vie de Jean-Jacques Rousseau. Juillet – Septembre 1768. Episode postérieur aux Confessions; publié pour la première fois et accompagné de lettres et de notes inédites de J.-J. Rousseau. Elle a paru chez les libraires Dentu et France à Paris en 1852. (pour une description complète, cliquez-ici)

Cette étude est basée sur un manuscrit de Gaspard Bovier, dont la famille accueillit Jean-Jacques Rousseau lors de son passage à Grenoble. Ce manuscrit, qui contient le récit jour par jour du séjour de Rousseau, avait aussi pour objectif de répondre au portrait malveillant que celui-ci donne de Bovier dans la 7e promenade des Rêveries du promeneur solitaire. Il lui reproche d'abord de ne pas l'avoir quitté ni le jour, ni la nuit. Surtout, il raconte une anecdote malveillante où G. Bovier, par « humilité dauphinoise », n'avait pas osé l'arrêter alors qu'il mangeait des baies empoisonnées lors d'une excursion sur les bords du Drac.



L'ouvrage d'Auguste Ducoin est un récit circonstancié du séjour de Rousseau à Grenoble, depuis son arrivée en provenance de Lyon, son passage à la Grande-Chartreuse pour herboriser jusqu'à son arrivée à Grenoble le 12 juillet 1768. Le récit au jour le jour de ce mois grenoblois est aussi une tentative de réhabiliter l'honneur de la famille Bovier, en rappelant toute la bonne volonté qu'ils ont mis à accueillir Jean-Jacques Rousseau, malgré son caractère irritable et changeant. Le portrait qu'Auguste Ducoin donne du philosophe met bien en valeur sa misanthropie, ses craintes de persécution, son caractère suspicieux et susceptible. Au-delà, c'est aussi l'occasion de découvrir comment la bourgeoisie cultivée et libérale de la ville pouvait recevoir un philosophe qui était déjà extrêmement populaire. Le séjour se termine par une obscure affaire de tentative d'escroquerie de Jean-Jacques Rousseau par un certain Thévenin. Il fuit Grenoble en août, pour n'y revenir que quelques jours en septembre 1768 alors qu'il est à Bourgoin. Auguste Ducoin raconte que le départ précipité de Rousseau est la conséquence d'une maladresse du président du Parlement, Berulle, qui avoua avec franchise : "ce n'est pas que je connaisse vos ouvrages; je n'en ai jamais lu aucun". 

La rue Jean-Jacques Rousseau où logea
le philosophe lors de son passage à Grenoble.


Nota : depuis la rédaction de ce message, une nouvelle édition du manuscrit de Gaspard Bovier a été donnée par les Presses Universitaires de Grenoble. Voir le message que je lui ai consacré : cliquez-ici. On verra que l'ouvrage d'Auguste Ducoin mérite quelques réserves, car il s'agit plus d'une paraphrase enjolivée, que la publication rigoureuse d'un manuscrit inédit. Dans l'exemple choisi pour illustrer cela, on verra qu'après avoir été ridiculisé par J.-J. Rousseau, Gaspard Bovier se voit mal servi par son compatriote Auguste Ducoin.

Pour revenir à l'Alpe, ce numéro 55, hiver 2012, qui vient de paraître, est entièrement consacré à Grenoble.



Il contient Quand Rousseau herborisait à Grenoble, par Eliane Baracetti, pp. 48-53, avec une bibliographie qui annonce une nouvelle édition du journal de Gaspard Bovier.

Pour finir, quelques mots sur Auguste Ducoin, l'auteur. C'est un de ces érudits, qui a eu une renommée locale en son temps. C'était visiblement un homme estimé, que le temps a fait disparaître dans un profond anonymat. J'ai tout de même réussi à glaner et mettre en ordre quelques informations (pour plus de détails : cliquez-ici). Né à Grenoble en 1814, neveu du conservateur de la bibliothèque municipale de Grenoble Amédée Ducoin (conservateur de 1818 à 1848), il est d'abord avocat à Grenoble et à Lyon, puis travaille dans l'industrie. Il passe la plus grande partie de sa vie à Lyon. Sa fréquentation du salon de Mme Yemeniz, la femme du célèbre bibliophile lyonnais, nous a permis de le faire un peu sortir de l'anonymat. Il est l'auteur de 3 livres : une étude sur la conspiration de Paul Didier à Grenoble (1844), une biographie de Philippe d'Orléans-Egalité et cet ouvrage sur Rousseau. Ensuite son activité professionnelle l'a empêché de poursuivre dans cette voie. C'est dommage car il annonçait un ouvrage sur Charles Fourier. Un de ces ouvrage a été entièrement plagié par le biographe Michaud, qui a été condamné pour cela (je comprend mieux maintenant comme Michaud a pu produire autant : en recopiant sans les citer les ouvrages d'auteurs moins connus). Pour finir, la collection d'estampes d'Auguste Ducoin a été vendue à Drouot en 1896 :