lundi 31 octobre 2011

A travers les Alpes du Dauphiné, Félix Perrin, 1884

C'est une petite plaquette comme je les aime qui vient de rejoindre ma bibliothèque. Ce n'est pas tant pour le texte lui-même, banal et sans beaucoup d'intérêt, que pour ce qu'elle représente. 


Détaillons-la un peu. Son titre et sa description :
Félix Perrin : A travers les Alpes du Dauphiné. Lecture faite le 10 mars 1883, à l'assemblée extraordinaire des membres de la section de Lyon du Club Alpin Français.
Lyon, Imprimerie Mougin-Rusand, 1884, in-8°, [4]-64 pp.

Il s'agit du texte d'une conférence prononcée par un des artisans de la découverte et de l'exploration des Alpes dauphinoises, Félix Perrin. Avec quelques autres comme Henry Duhamel, Henri Ferrand, Paul Guillemin, ils mirent toute leur énergie à découvrir et décrire le massif, d'une part, et à le faire connaître, alors qu'il était encore délaissé et donc mal connu des alpinistes et des touristes du temps. C'est ainsi que Félix Perrin est allé à Lyon, devant les membres de la Section lyonnaise du Club Alpin Français, parler pendant deux heures et demi de ses chères Alpes dauphinoises, en même temps qu'il leur projetait des vues photographiques. C'est le texte de cette conférence qui a été ensuite édité "par le soin des amis de l'auteur" à seulement 100 exemplaires (pour plus de détails, cliquez-ici).

Comme souvent pour ce type d'exercice, le ton est personnel, mélange de souvenirs de l'auteur, de digressions variées (la montagne et le Bouddhisme) et de quelques notations pratiques (Félix Perrin s'attache souvent à citer les meilleures auberges qu'il a pu rencontrer). Malgré l'âge de l'auteur (il avait 29 ans), le style paraît souvent ancien et ampoulé. Pour preuve, ce petit passage : "Nous sommes à la porte du massif du Pelvoux, le plus grand de toutes les Alpes françaises, le plus magnifique, le plus fier, le plus indompté. Une seule route venant de l'Italie par le Mont-Genèvre, traverse ses déserts de glaces et de neiges éternelles, de rochers à pics, de torrents impétueux, où depuis longtemps tous les arbres sont morts, où une herbe maigre pousse à peine, où la désolation la plus sublime, où l'horreur la plus belle, où le caractère le plus poignant règnent seuls et invincibles." (p. 35). Notre auteur a trop lu les écrivains du XVIIIe siècle ou les romantiques !

Mais bon, ne faisons pas le difficile. Nous avons tout de même droit au récit de la 3e ascension de la Barre des Ecrins, le point culminant du massif à 4103 m.

Mais l'intérêt de cet exemplaire ne s'arrête pas là. En effet, au contre-plat, est collé un petit ex-libris étiquette (voir en fin de message). Il n'est pas immédiatement déchiffrable, mais l'on sait que c'est celui d'Henry Duhamel, un autre pionnier des Alpes dauphinoises, alpiniste d'une tout autre trempe que Félix Perrin par ses premières mais aussi par ses tentatives à la Meije qui ouvrirent la voie à la conquête de 1877. Même si cela est controversé, il est considéré comme l'introducteur du ski en France. Mais au-delà de ça, Félix Perrin et Henry Duhamel étaient amis et ensemble, avec l'aide du révérend Coolidge, ils publièrent en 1887 l'ouvrage fondateur de la description des Alpes dauphinoises : Guide du Haut-Dauphiné, ancêtre de tous les guides d'excursions et de randonnées dans le massif des Ecrins, paru en 1887.



Il ne manque à cette plaquette que de porter un envoi de Félix Perrin à Henry Duhamel.

Il y avait longtemps que je cherchais des renseignements sur Félix Perrin, dont je ne connaissais même pas les dates de naissance et de décès. Les dictionnaires habituels étaient muets sur lui. Mettant à profit les ressources d'Internet et un peu de réflexion, j'ai pu reconstituer la vie de Félix Perrin, né à Grenoble en 1853 et mort à Lyon en 1927 (pour plus de détails, cliquez-ici). Il faut savoir qu'en plus d'avoir été un des pionniers des Alpes dauphinoises, il fut aussi un grand bibliophile, amassant une collection sans pareil d'ouvrages sur le Dauphiné, les Alpes et la montagne. Vers 1897, il s'associa à H. Falque avec lequel il publia de nombreux ouvrages, certains sous leurs propres noms et d'autres sous l'appellation commerciale de Librairie Dauphinoise.


Parmi les ouvrages majeurs, il faut en distinguer trois :
- Chansons populaires, recueillies dans les Alpes françaises (Savoie et Dauphiné), de Julien Tiersot, paru en 1903 et publié en collaboration avec la Librairie Savoyarde de F. Ducloz, à Moûtiers.
- La Montagne à travers les âges, de John Grand-Carteret, dont le premier tome a été publié en 1903, encore en collaboration avec la Librairie Savoyarde de F. Ducloz, à Moûtiers. Le deuxième tome, paru en 1904, n'a pas été édité par F. Perrin. Il est alors remplacé par C. Dumas, qui a repris l'appellation commerciale de Librairie Dauphinoise.
- La Revue dauphinoise, revue d'érudition, largement illustrée et de présentation soignée, dont le premier numéro est paru en décembre 1898 et qui a disparu en 1901.

Même à cette époque, l'ambition éditoriale n'était pas récompensée. L'entreprise échoua. Autant que l'on puisse en juger, le père de Félix Perrin était arrivé à une honnête aisance, à tel point que Félix Perrin a pu même être qualifié de rentier en 1896. C'est probablement cette fortune qui lui a permis simultanément de se constituer sa bibliothèque et de se lancer dans l'édition de luxe. Malheureusement, il devait laisser sa fortune dans cette aventure, l'obligeant à vendre sa bibliothèque et à reprendre un travail d'agent d'assurances jusqu'à son décès à l'âge de 74 ans. Le catalogue de la vente de sa bibliothèque est une référence encore indispensable de la bibliographie dauphinoise : Catalogue des livres dauphinois et autres, anciens et modernes, cartes, tableaux et objets d'art provenant de la bibliothèque de M. Félix Perrin, ancien libraire-éditeur. Elle a eu lieu en décembre 1903.



Son ex-libris se trouve sur quelques ouvrages.



Si on le compare à celui de son contemporain Henry Duhamel, on peut percevoir de façon tangible la différence des deux personnalités.



Pour finir, cette belle rose "Mme Ernest Calvat" :



Vous me direz, quel rapport avec Félix Perrin ? On a donné le nom de sa sœur à une rose. En effet, Marie Perrin (1859-1896) a épousé Ernest Calvat, fils d'un maire de Grenoble, fabricant de gants, puis horticulteur.

2 commentaires:

Textor a dit…

Un des principaux mérites d’ebay est de pouvoir y prélever de temps en temps ces fameuses plaquettes dont les vendeurs ne soupçonnent pas l’importance … il faudrait 3 vies pour les dénicher dans les boites des brocanteurs.

J’ai réuni ainsi 2 des 5 discours sur l’inauguration du monument aux frères de Maistre à Chambéry.(1899) Reste à en trouver 3 !! Combien avez-vous de plaquettes de Falque et Perrin sur les 57 ? :)

Textor

Jean-Marc Barféty a dit…

En l'occurrence, cette plaquette m'a été vendue par un libraire.
Je ne me suis pas donné comme objectif de rassembler tous les ouvrages édités par Falque et Perrin Ce ne sont pas toujours des plaquettes. Souvent, ce sont ds beaux ouvrages. Ceci dit, je m'aperçois que j'en ai beaucoup, surtout les plus beaux.
Rendons hommage à ces éditeurs du passé, qui ont perdu leur fortune à faire des beaux ouvrages pour les bibliophiles d'aujourd'hui.
Jean-Marc