dimanche 25 septembre 2011

La bonne fée du bibliophile dauphinois

Je crois qu'il y a une bonne fée qui veille sur les bibliophiles. Je ne sais comment elle s'appelle, mais ces trois derniers jours m'ont démontré qu'il fallait parfois croire à son bon génie.

Tout a commencé très simplement par une invitation au vernissage de l'exposition Regards sur les Alpes. 100 livres d'exception (1515-1908), vendredi dernier à la Bibliothèque Municipale de Grenoble. Je m'étais alors organisé un voyage avec une soirée à Grenoble, suivie d'un week-end en famille à Lyon. Puis, premier signe de la bonne fée, un libraire lyonnais, que j'avais rencontré lors d'un repas de bibliophiles, me fait une proposition intéressante il y a deux semaines. Profitant de mon passage à Lyon, je lui donne rendez-vous ce week-end pour voir cela de plus près. Tout cela se présentait déjà bien. Deuxième signe de la bonne fée, un libraire grenoblois m'écrit jeudi dernier pour me dire qu'il a rentré un beau lot de livres et qu'il est à ma disposition pour me les présenter. Cela tombe bien, le lendemain je suis à Grenoble et je lui promets de passer avant le vernissage. Puis, troisième signe de la bonne fée, un libraire du sud de la France, avec qui j'avais déjà échangé, m'envoie vendredi un mail pour me signaler qu'il a repéré chez un confrère un livre qui pourrait m'intéresser. Devinez où se trouve ce confère ? A Lyon ! Il ne me restait plus qu'à y passer samedi après-midi pour voir cela.

Je vais maintenant vous présenter les quelques acquisitions qui en ont résulté. Je crois que je n'ai jamais connu un telle conjonction de bonnes fortunes.

Pour commencer, l’exposition. Je vous en avais déjà parlé (cliquez-ici). Pour tous ceux qui aiment et les livres et la montagne, c'est une exposition à ne pas manquer. Dans une belle présentation, sont exposés les plus beaux livres sur la montagne et les Alpes. C'est un parcours dans le cheminement du sentiment de la montagne, puis de son exploration à travers des livres. L’exposition se tient à la Bibliothèque Municipale de Grenoble jusqu'au 10 décembre. Le vernissage a été l'occasion de rencontre d'autres passionnés, dans ce petit monde des libraires et bibliophiles montagnards et alpins.


Pour revenir à mes acquisitions, j'ai enfin fait entrer dans ma bibliothèque un des grands classiques de la littérature régionale : Guide du voyageur dans l'Oisans, tableau topographique, historique et statistique de cette contrée, du docteur Roussillon, paru en 1854 à Grenoble. L'Oisans est cette petite région à cheval sur l'Isère et les Hautes-Alpes qui abrite une partie du massif des Ecrins et parmi les plus beaux sommets des Alpes. Complètement délaissée par les voyageurs et les touristes, il a fallu attendre que quelques amoureux de leur petite patrie prennent la plume et fasse connaître au monde les richesses de la région. Le docteur Roussillon est parmi ceux-là. Il a publié ce petit guide, orné de 9 lithographies, pour enfin démontrer qu'il existait d'autres beautés alpines en dehors de la Suisse et de la Savoie. C'est un petit ouvrage rare, surtout en bonne condition. Il est présenté dans une belle reliure moderne, mais, surtout, l'intérieur est d'une grande fraîcheur, quasiment sans rousseurs, ce qui est presque un miracle pour ces livres du milieu du XIXe siècle.




Dans le même lot, j'ai acheté un bel exemplaire d'un livre rare : Voyage d'inspection de la frontière des Alpes en 1752 par le Marquis de Paulmy, Secrétaire d'Etat, Adjoint au Ministre de la Guerre, le Comte d'Argenson, d'Henry Duhamel, 1892, que j'avais déjà sous forme broché (cliquez-ici)



Ensuite, à Lyon, profitant du renseignement du libraire du sud de la France, j'ai complété ma petite collection d'ouvrages sur le pèlerinage marial de Notre-Dame-du-Laus, dans les Hautes-Alpes. Ce pèlerinage, qui fait suite aux apparitions de la Vierge à la bergère Benoite Rencurel au XVIIe siècle, a donné lieu à toute une littérature édifiante, qui commence par la publication d'un Recueil historique des merveilles que Dieu a opérées à Notre-Dame du Laus, près Gap, en Dauphiné, par l'intercession de la sainte Vierge. Et des principaux traits de la vie de Benoite Rencurel, surnommée la bergère du Laus, en 1736, premier témoignage imprimé sur ces apparitions. A la même date, il a été donné quatre éditions qui diffèrent tant par la composition que par les pièces annexes, mais qui contiennent toutes les XVII chapitres de la vie de la bergère. Elles sont toutes à l'adresse d'André Faure à Grenoble. J'avais déjà 2 états de cette édition. C'est un 3e état que je viens de rentrer. La page de titre, avec sa naïve vignette gravée sur bois, donne une idée de cette édition populaire. J'ai un goût de plus en plus immodéré pour ces petites choses, dans leur jus, qui portent en elle toute une histoire.

Page de titre d'un autre état de l'édition de 1736 :


Enfin, revenant au premier signe de la bonne fée du bibliophile, je suis allé ce dimanche matin dans les Monts du Lyonnais, à la découverte de ce que me proposait ce libraire : une très belle collection de 13 cartes de Cassini coloriées couvrant l'ensemble du Dauphiné. Un seul mot, extraordinaire ! Elles sont présentées en 3 lots dans un modeste cartonnage de l'époque, avec une pièce de titre en maroquin.


Ces quelques photos fournies par le libraire donnent un premier aperçu de l'ensemble.








Je m'étais jamais trop intéressé aux cartes auparavant, mais trois occasions cette année m'ont amené à enrichir ma bibliothèque avec ce support indispensable de l'histoire régionale. Il y a eu la carte du Massif des Ecrins dont j'ai parlée récemment (cliquez-ici), une carté géologique de Charles Lory, dont je n'ai pas encore parlée, et maintenant, ce lots de cartes de Cassini.

Mais comme tout cela ne suffisait pas, il m'a sorti de derrière les fagots, si j'ose m'exprimer ainsi, le Prospectus de l'Histoire des Plantes de Dauphiné, de Dominique Villars. C'est une petite plaquette de 57 pages, avec une planche, publiée en 1779 par D. Villars pour annoncer son œuvre majeure, qui ne paraîtra qu'entre 1786 et 1789.


J'ai souvent parlé de Dominique Villars et de cette Histoire (cliquez-ici). Je vous présente de nouveau la belle reliure d'époque de mon exemplaire. C'est vraiment une chance inouïe de pouvoir maintenant posséder le Prospectus. Il doit d'ailleurs s'agir d'une plaquette très rare. Au passage, signalons que l'Histoire des plantes de Dauphiné, de D. Villars, fait partie des 100 livres d’exceptions présentés à l'exposition Regards sur les Alpes.



Voilà, le week-end est terminé. Il va falloir décrire ces acquisitions, vous les présenter plus en détail. La bonne fée a terminé son œuvre. La semaine peut commencer, plus calme sur le front de la bibliophilie.

Je finis ce message en remerciant chaleureusement les trois libraires qui m'ont contacté pour me proposer ces ouvrages. Ils m'ont permis d'enrichir ma bibliothèque de pièces rares et belles, c'est à dire ce que je veux pour ma collection. Ils m'ont aussi offert l'occasion d'échanges riches et sympathiques.

lundi 12 septembre 2011

Glanes dauphinoises II

Ce message un peu fourre-tout, que j'ai appelé "Glanes dauphinoises", comme pour exprimer l'idée de découvertes au hasard ou au gré de mes envies et de mes curiosités, est déjà l'occasion de parler de quelques lectures de vacances.

La première est un petit livre bien illustré d'une exposition de cartes anciennes du Dauphiné, exposition que je n'ai malheureusement pas pu voir : Quand le Dauphiné se met en cartes. C'est une bonne et courte synthèse de la cartographie dauphinoise sur la base de deux collections privées.


Je profite de l'occasion pour annoncer la prochaine parution de :
Cartes géographiques anciennes des Hautes Alpes(du XVème au XIXème siècle), par Jacques Mille et André Chatelon.
L'ouvrage de 320 pages, traitant de la représentation des Hautes-Alpes sur les cartes anciennes, comportera plus de 300 reproductions, essentiellement en couleurs, de cartes anciennes, imprimées et manuscrites, peu connues ou inédites.
Je vous laisse découvrir la présentation de l'ouvrage dans le bon de souscription joint (cliquez-ici). Pour ceux que cela intéresse, n'hésitez pas à souscrire.

Autre lecture, fort érudite mais fort passionnante :
Quand Grecs et Romains découvraient les Alpes, de Colette Jourdain-Annequin


Paradoxalement, c'est un sujet rarement traité : la vision que les Grecs et les Romains avaient des Alpes, au-delà des clichés d'une zone inexistante pour eux. L'auteur rassemble tous les textes existants et les met en regard de l'archéologie. On découvre ainsi un portrait tout en nuance d'une région qui, sans être au centre des préoccupations de Romains sauf comme zone de passage, connaissait déjà une activité importante, prélude à ce que l'on découvre et étudie dans l'ouvrage dont je parle ci-dessous. L'étude du passage d'Annibal à travers les Alpes, selon une lecture différente des textes, est éclairante de ce que l'on peut obtenir de ces textes lorsque on ne veut pas en faire une lecture trop littérale, lecture qui n'a jamais permis de trouver de façon certaine le lieu du passage. Au titre des étonnements, j'ai découvert que Pétrone faisait allusion au col de Montgenèvre dans le Satyricon, source inattendue pour l'histoire de ce passage majeur entre la Gaule et l'Italie.

Pour finir sur les lectures de l'été, une excellente synthèse sur la vie dans les Alpes entre le Xe et le XVe, vue depuis les communautés qui se sont peu à peu affirmées pendant cette période :
Paysans des Alpes. Les communautés montagnardes au Moyen Age, par Nicolas Carrier et Fabrice Mouthon.

Tous les aspects de la vie de ces communautés sont abordés, que ce soit l'aspect juridique et institutionnel, que la vie économique. L'intérêt de cet ouvrage est de puiser dans de très nombreuses sources et de les mettre en perspective les unes par rapport aux autres, selon les régions concernées. C'est une travail universitaire dans le meilleur sens du terme, qui allie la rigueur de l'exposé à une grande clarté dans le propos. Cela mérite d'être souligné. D'un point de vue plus personnel, en lisant ce livre, j'ai le sentiment de trouver un peu de la vie de mes ancêtres.



Il y a quelques années, j'avais eu l'occasion de scanner quelques extraits d'un ouvrage rarissime : Lettres à Lucie sur le canton de Mens, paru en 1844 (plus de détails sur cet ouvrage, cliquez-ici). Je l'avais fait à la demande d'un chercheur qui s'intéressait plus particulièrement à l'école normale protestante de Mens en Isère (on est en terre protestante). En effet, il rassemblait les éléments d'une vie d'un colporteur de bibles, natif de Mâcon, passé par cette école avant de s'installer au Canada. Le résultat est deux gros volumes, très documentés et fort intéressants, qui viennent de paraître.



On est un peu loin du Dauphiné, mais cette démarche de rassembler tous les éléments possibles pour reconstituer une vie qui a laissé peu de traces m'a rappelé un livre remarquable d'Alain Corbin : Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot.

En conclusion, et pour rappeler un peu les vacances, cette marmotte prise en photo au Clot-en-Valgaudemar. Après avoir fui à notre arrivée, sa curiosité a pris le dessus et elle n'a pu s'empêcher de pointer son nez pour voir ce qui se passait. D'où cette photo prise quasiment à distance réelle.


lundi 5 septembre 2011

L'Oisans, d'André Allix, 1929

André Allix est un géographe français (1889-1966) qui appartient à l'école de géographie alpine animée par Raoul Blanchard à Grenoble dans la première moitié du XXe. Comme sujet de thèse, il choisit d'étudier complètement la géographie d'une petite région montagneuse, à cheval sur l'Isère et les Hautes-Alpes, région qui abrite quelques uns des plus hauts sommets des Alpes en dehors du Mont-Blanc. Cette petite région est l'Oisans.

Qu'est ce que l'Oisans ? C'est une région montagneuse proche de Grenoble, qui débute peu après Vizille, et qui englobe une partie des vallées du versant ouest du massif des Ecrins, massif que l'on appelle parfois par un abus de langage le massif de l'Oisans. Géographiquement parlant, c'est le bassin supérieur de la Romanche. Mais comme aujourd'hui la géographie alpine n'est presque plus connue que par les stations de ski, c'est là-aussi que l'on trouve les stations de l'Alpe d'Huez et des Deux-Alpes. Je n'ai malheureusement pas trouvé une carte satisfaisante sur Internet pour aider à situer ce petit pays. Je reproduis donc la carte de l'ouvrage que je vais maintenant vous présenter.


Cette thèse été publiée en 1929 par la librairie Masson.
Un pays de haute montagne. L'Oisans. Etude géographique.


C'est un gros ouvrage de presque 1000 pages, très abondamment illustré : 56 figures, dont 7 cartes dépliantes, 106 photographies en noir et blanc dont quelques panoramas.

Dans les grandes lignes, on y trouve un exposé en trois grandes parties :
- La nature : la géologie, le climat, les glaciers, l'eau, la faune, la flore, etc., avec une attention particulière pour les glaciers.
- Les sites humains et la vie rurale : le peuplement, l'habitat, l'économie rurale.
- Les facteurs de transformation : le tourisme, les mines, l'industrie.
Dans la lignée de la pensée de son maître Raoul Blanchard, cette géographie n'est pas seulement un travail de cabinet, mais se nourrit de recherches sur le terrain. André Allix a lui-même parcouru ces montagnes. De nombreuses photographies sont son œuvre. Il a su s'appuyer sur les témoignages des habitants et des administrateurs qui connaissaient bien le pays. Cela donne un aspect vivant à un travail universitaire qui aurait pu paraître, sans cela, fort aride. Ces deux panoramas illustrent l'ouvrage.



Pour voir la notice de l'ouvrage, cliquez-ici.

Un autre intérêt est qu'il contient un bibliographique qui, me semble-t-il, reprend l'exhaustivité des livres et des articles sur son sujet. Il en référence 861 !, ce qui est appréciable pour un sujet aussi circonscrit. Au passage, André Allix note d'un * les ouvrages « dont l'usage exige des précautions ». Lorsque on y regarde de plus près, on voit que ceux sont essentiellement les productions des érudits locaux, ceux qui ont mis leur talent au profit de la connaissance des Alpes dauphinoises dans la deuxième moitié du siècle précédant. Ce sont ces ouvrages « où débordent le mouvement, la jeunesse et le sentiment profond de la poésie alpestre », parfois au détriment de la rigueur scientifique. Avec l'arrivée des géographes, formés aux méthodes rigoureuses de l'école de géographie française, ce sont deux mondes, et deux générations qui se rencontrent et parfois qui ne se comprennent. La roue de l'histoire a tourné et l'érudit local, érudit du "dimanche", doit laisser la place au professionnel.

Déjà à cette époque, ces publications savantes étaient tirées à très petit nombre. Même si l'on en connaît pas le tirage exact, il doit être faible, vu le peu d'exemplaires que l'on voit passer sur le marché. Actuellement, il n'y en a aucun proposé sur les principaux sites de livres anciens. J'ai eu la chance de trouver un exemplaire bien relié en chagrin noir, dans une reliure janséniste. Au plaisir de trouver un texte qui reste une référence, se joint celui de posséder un exemplaire en parfaite condition.


Trouver ce livre rare dans une belle et sobre reliure qui en a assuré une conservation parfaite m'a amené à m'interroger. On le savait, mais cela confirme qu'il y a toujours eu des amateurs bibliophiles pour faire proprement relier même des livres de documentation. L'expérience prouve qu'il n'est pas rare de trouver des ouvrages de ce type, en général plus propres à orner la bibliothèque d'un universitaire que d'un bibliophile, qui ont tout de même fait l'objet d'un soin de conservation. Je me suis donc interrogé si nous lèguerions nous aussi à nos futurs bibliophiles les livres d'aujourd'hui reliés en chagrin ou même en maroquin. Je crains que non. Sans considérer que mon cas particulier doive être érigé en cas général, les quelques livres de référence publiés récemment, dont je sais qu'ils ont une valeur documentaire certaine et que la faiblesse de leur tirage rend déjà rares, sont brochés et restent brochés dans ma bibliothèque. Je n'envisage pas de les faire relier, pour une question de coût essentiellement. C'est probablement dommage. On pourrait aussi me dire que nos futurs bibliophiles ne rechercheront plus ces livres, car ils pourront les lire numériquement. C'est probablement vrai, mais cela rend encore plus souhaitable que les quelques exemplaires papier qui seront encore recherchés par quelques fétichistes soient dans une belle condition.

Pour finir ce message, une photo de vacance, représentant un des plus beaux, si ce n'est le plus beau sommet de l'Oisans, la Meije. Preuve que, comme le géographe, le bibliophile va aussi sur le terrain.