dimanche 7 février 2010

"La physiologie du Prédestiné", de Calixte Allec (1813-1885 )

Poursuivant dans la voie que j'ai commencé à tracer la semaine dernière, je veux vous entretenir aujourd'hui d'un autre écrivain haut-alpin oublié. Né à Gap en 1813, d'une famille d'origine champsaurine, Calixte Allec est encore modestement connu pour cet ouvrage anonyme, paru en 1841 : Physiologie du Prédestiné. Considérations biscornues, par une bête sans cornes, autrement dit pour une physiologie du cocu.




C'est un petit ouvrage paru à Paris, Raymond-Bocquet, Libraire, 1841, in-12 (130 x 80 mm), 127-[1] pp., nombreuses gravures dans le texte dont une en frontispice, couverture illustrée d'une gravure. J'en possède deux exemplaires, dont un sur papier jaune (on se demande bien pourquoi !), relié en demi-maroquin jaune (pour ceux qui, décidément, n'auraient pas compris !).


L'ouvrage débute par un préambule de 18 pages contenant des généralités sur les maris cocus et la prédestination de certains à être trompés par leur femme. Ensuite, l'auteur, en quatre chapitres, rapporte des anecdotes pour illustrer son propos sur les 4 types qu'il a identifiés : les récalcitrants, les fatalistes, les myopes et les optimistes. Le ton général de l'ouvrage est léger, moqueur et incisif. Plagiant le deuxième titre de
La physiologie du mariage, de Balzac, on pourrait lui donner comme sous titre : Méditations sur le malheur conjugal. Pour poursuivre la comparaison en miroir avec son illustre devancier, remarquons que Allec défend aux femmes de laisser leur mari lire ce livre (voir la page de titre) alors que Blazac interdisait la lecture de son ouvrage aux femmes.

Dans les années 1840, Paris connut une vogue sans précédent de ces petits ouvrages. Ces études de mœurs étudient les types sociaux et professionnels de l'époque dans un style journalistique tout d'humour et d'impertinence. La plus célèbre est
La physiologie du mariage ou Méditations sur le bonheur conjugal de H. de Blazac, parue en 1830. La maison Balzac possède une riche collection de ces physiologies. On en compte 89, dont La physiologie du prédestiné. La majorité a paru entre 1840 et 1842, avec un maximum en 1841. Le 4e de couverture de cet ouvrage présente une liste de Physiologies en vente ou sous presse. Quelques titres donneront une idée de la variétés des sujets traités par ces petits ouvrages souvent illustrés : Physiologie de Paris, du Père-Lachaise, du cousin, des huissiers, du député, etc. On annonce même une Physiologie des Physiologies.

L'ouvrage est illustré d'une quarantaine de gravures sur bois de J. Gagniet.

La gravure de la page 8 représente Balzac.

Au fil du texte, l'ouvrage contient 7 encadrés, avec la mention : "De par MM. de la censure, dessin supprimé".

Il doit s'agir des 6 vignettes non autorisées dont nous avons trouvé le dépôt le 31 juillet 1841 dans le document : Dépôt des Estampes et Planches gravées présentées et non autorisées – année 1841. Archives Nationales de France F18* VI 48.

Cet ouvrage, que l'on trouve relativement couramment, semble une autre édition à la même date de
La Physiologie du cocu, par un vieux célibataire, Paris, Fiquet, 1841 (l'auteur n'avait que 28 ans !). Le duc d'Aumale en possédait un exemplaire, qu'il a fait relier en maroquin citron par Duru.




Sur les Physiologies, voir ce message sur le blog de Gallica : cliquez-ici.


Calixte Zénon Allec, est né à Gap le 27 septembre 1813, fils de Jean Allec, géomètre originaire de Poligny dans les Hautes-Alpes, et de Marguerite Virginie Rambaud, de la Motte en Champsaur, aussi dans les Hautes-Alpes.


Acte de naissance de Calixte-Zénon Allec

Il se rendit à Paris, puis à Lille, où il fit du théâtre. Il revint à Paris où il connu un certain succès avec des pièces jouées au Palais-Royal et au théâtre Beaumarchais sous le pseudonyme de Lermite. Il quitta Paris suite aux difficultés financières du théâtre Beaumarchais, dont il assumait une partie de l'administration. On le retrouve journaliste à Valence, où il collabora de janvier 1869 au 15 février 1870 à
L'Indépendant de la Drôme et de l'Ardèche, organe de la Démocratie libérale des deux départements, ainsi qu'au journal La feuille de Pierre Jean André. Il faisait partie de l'opposition à l'Empire. Il monta ensuite, à Saint-Bonnet-en-Champsaur, une banque qui dura peu. Bien qu'ayant hérité de la fortune et des biens de Jean Rambaud, son oncle, ancien maire de la Motte-en-Champsaur, il finit sa vie dans la pauvreté, recueilli par ses sœurs, Emilie (1816-1878), Zoé (1818-1899) et Eugènie (1821-1893) Allec, institutrices à La Motte-en-Champsaur. Il y est mort le 11 décembre 1885, célibataire.

Acte de décès de Calixte-Zénon Allec

Sa bibliographie, telle qu'on peut la reconstituer, est :
-
Physiologie du cocu, par un vieux célibataire, Paris, Fiquet, 1841, in-32
-
Physiologie du Prédestiné. Considérations biscornues, par une bête sans cornes., Paris, Raymond-Bocquet, Libraire, 1841
-
Les riches et les pauvres. Coup d'oeil sur l'état actuel de la question sociale., Lille, L. Danel , 1848 (consultable sur Gallica, cliquez-ici).
-
Roi, dame et valet, comédie en un acte; en vers, par M. Allec, représentée pour la première fois sur le théatre de Lille, le 16 Avril 1849, Lille, 1849.
-
L'Ecole des marchands : Comédie en trois actes en vers par MM. Allec et Jules Baes, représentée pour la première fois sur le théatre de Lille, le 23 Décembre 1849, Lille, 1849

Sous le pseudonyme de Lermite, il est l'auteur de plusieurs pièces de théâtre :
- La Croix de ma mère, drame vaudeville en cinq actes et six tableaux, Paris, Lévy, 1857- L'Enfant du Tour de France, drame en cinq actes, mêlé de chant, Paris, Librairie théâtrale, 1857 (consultable sur Gallica, cliquez-ici).- Le Bonhomme Lundi, drame en cinq actes, mêlé de chant, Lévy frères, 1858- Tout pour l'honneur, drame en cinq actes, mêlé de chant, Paris, Mifliez, 1859

Son dernier ouvrage est :
-
Le catéchisme du contribuable, Valence, 1869, qui est une attaque de l'Empire.

Sur Calixte Allec, les sources sont :
-
Nouvelle biographie du Dauphiné
-
Le Dauphiné et les Dauphinois dans la charge et la caricature, de Paul Guillemin, qui, le premier, a sorti notre illustre compatriote de l'obscurité biographique dans laquelle il se trouvait.

Notons que l'on trouve l'orthographe fautive Callixte-Zévon Allec.

Ce message, qui commence par un ouvrage qui nous éloigne en apparence du Dauphiné et des Hautes-Alpes, y revient naturellement par cette personnalité attachante. Pourquoi attachante ? Parce que les quelques éléments de sa vie que nous connaissons nous montrent un homme à la recherche perpétuelle d'un succès, peut-être d'une stabilité, à qui j'imagine que la vie a été cruelle. Parce que le destin de cet homme qui s'est approché d'un monde très loin de ses origines provinciales, l'a pourtant ramené dans un petit village des Alpes, auprès de trois sœurs célibataires, dédiées à l'enseignement. Quel contraste entre le côté très parisien, très "dans le vent" de sa
Physiologie du Cocu et ces trois sœurs que l'on imagine sévères et austères, entièrement consacrées à l'enseignement des jeunes mottains (certains anciens se souviennent, par leurs parents ou grands-parents, des sœurs Allec). Pour résumer, le destin de Calixte Allec n'est-il pas balzacien ?

Pour finir ce long message, je voudrais aussi dire l'attachement particulier que je porte à la Motte-en-Champsaur. J'y ai fait de nombreuses recherches sur l'histoire des familles car mon arrière-grand-père y est né, dans une famille dont la présence est attesté depuis au moins le XVIIe siècle. J'ai fait paraître une article sur ce village dans le
Bulletin de la Société d'Etudes des Hautes-Alpes, en 2001 : La Motte-en-Champsaur, vers 1845. (pour le lire, cliquez-ici).

Ces quelques photos de la Motte-en-Champsaur mettent en regard des cartes postales anciennes et les même vues prises récemment.



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